Pierre Gilou
A l’occasion de notre rencontre avec l’artiste, celui-ci a bien voulu répondre à nos questions sur sa position vis-à-vis de l’introduction d’art contemporain à Versailles, et de la polémique qui en est née.
Selon Pierre Gilou, l’introduction d’art contemporain à Versailles constitue la corruption d’un lieu historiquement chargé.
Le Château de Versailles, jouissant d’une position particulière dans l’esprit des Français mais aussi bien dans le monde, ne doit pas être « pris en otage », escamotant la représentation que les publics s’en font.
En confrontant des œuvres d’art du passé à des œuvres contemporaines dans un lieu aussi prestigieux que le Château de Versailles, l’Etat, à travers l’autorité qu’il confère à un ministère, promeut cet art. « Versailles est un lieu d’exposition permanente de tout ce qui se rattache à son histoire, et symbole de la culture française depuis le XVIIe siècle.
On ne saurait le dénaturer par des fantaisies du genre Koons sans profaner sa vocation multiséculaire. »
Un lieu d’exposition serait donc pour Pierre Gilou tout lieu abrité n’ayant pas d’affectation particulière et accessible au public. Pierre Gilou estime par ailleurs qu’il n’y a pas de confrontation didactique possible entre les œuvres du passé lointain enracinées dans le patrimoine et les productions plus récentes sans aucune légitimité.
Ainsi, ces œuvres ne bénéficient pas de ce que l’accumulation des siècles a qualifié d’œuvres d’art, et il est difficile de classifier les œuvres contemporaines sans avoir un minimum de recul.
Peut-on ainsi doter ces dernières du statut d’œuvres d’art ?
Pierre Gilou s’y refuse, et ne considère pas même leurs auteurs comme des artistes : « Si Koons est un industriel en objets décoratifs, Veilhan en est un autre et Murakami un troisième. On observera le lien entre les trois. Ces nouveaux « artistes », plus accessibles à une classe sociale aisée et artistiquement inculte que des Boltanski ou autre Serra - également poulains du réseau, s’apparentent à des entrepreneurs fabricants de poupées, jouets et articles divers, pour kermesses ou fêtes foraines. »
Pierre Gilou soutient que le choix des artistes par ce qu’il appelle le « réseau » est motivé par leur « haute capacité industrielle de fabrication ». En effet, les commandes doivent être honorées dans les plus brefs délais dans le cas de nos artistes, contrairement à l’artiste traditionnel dont la production est tributaire du temps d’exécution.
En prétextant d’une confrontation à caractère didactique, le « réseau » vise à valoriser un marché de façon déguisée. Les prix des œuvres n’ont jamais atteint de tels sommets, parce que celles-ci sont exposées dans des écrins d’exception et s’inscrivent dans la promotion commerciale de l’entreprise Pinault et Koons : « En prenant pour cadre Versailles ou le Louvre, la magnificence des lieux sacralise d’emblée les poulains de galeristes et collectionneurs du réseau de l’art contemporain. » Ainsi, Pierre Gilou est convaincu que les efforts conjugués des différentes composantes du « réseau »ne le sont pas par altruisme, et que cette gigantesque entreprise, ce « marché artificiel aux relents mafieux », sert les multiples intérêts privés des différents maillons de la chaîne. « Le lieu d’exposition présente un intérêt primordial pour la fabrication des valeurs et rassurer le spéculateur qui cherche un placement sûr. »
Questions à Pierre Gilou
Qu'est ce qui vous dérange dans l'introduction de l'art contemporain à Versailles?
Ce que je critiquerai d'abord, c'est la corruption d'un lieu historiquement chargé. Il est en effet intolérable que soit pris en otage le Château de Versailles, qui jouit d'une position singulière dans l'esprit des Français et des étrangers en frelatant et escamotant ce que ce lieu représente à leurs yeux. Il est à noter - et ce n'est pas anodin - que les américain qui constituent une part importante des investissements en art contemporain, vouent à Versailles un culte particulier, ce qui n'est peut-être pas étranger à ce choix des organisateurs. Le lieu d'exposition présente un intérêt primordial pour la fabrication des valeurs et rassurer le spéculateur qui cherche un placement sûr.
Ce qui me dérange, c'est le prétexte fallacieux de faire se côtoyer l'Art du passé et celui d'aujourd'hui en une prétendue confrontation à caractère didactique, alors qu'il s'agit d'une manière déguisée de valoriser un marché (jamais les œuvres d'art contemporain n'ont atteint des valeurs aussi élevées: elles se chiffrent en millions d'euros).
Et la polémique autour de Koons, Veilhan et autres, participe bien-sûr de cette promotion commerciale de l'entreprise Pinault/Koons.
S'il ne s'agissait de valorisation de marché, pourquoi l'art contemporain se déplacerait-il systématiquement dans les lieux les plus prestigieux du passé?
Pourquoi, par exemple, ne pas inverser la proposition en exposant des œuvres de Versailles ou du Louvre à Beaubourg ou au Palais de Tokyo parmi celles d'artistes contemporain?
La réponse est simple : Par ce que ces lieux ne jouissent pas et de loin d'un lustre équivalent.
L'effet serait opposé au résultat attendu.
En prenant pour cadre Versailles ou le Louvre, la magnificence des lieux sacralise d'emblée les poulains de galeries et collectionneurs du réseau de l'art contemporain.
Si M. Aillagon avait installé Koons et Veilhan dans l'orangerie de Versailles, la polémique n'eut certainement pas passé les grilles du château si toutefois encore des visiteurs s'en étaient indignés, ce qui semble peu probable.
Par sa seule confrontation avec des œuvres d'art du passé, en présentant des œuvres contemporaines dans un lieu aussi prestigieux que Versailles, l'institution entrave la liberté du marché de l'art.
Elle pratique une politique de légitimation d'un certain art promu par l'autorité d'un ministère dont les préoccupations peuvent paraître éloignées de leur fonction.
Ce type d'exposition au propos incohérent: Koons, Veilhan, Murakami confrontés aux artistes de Versailles, est inepte dans la mesure où il n'a pas de confrontation didactique possible entre des œuvres rattachées à un passé lointain, profondément intégrées au patrimoine, et des productions non encore légitimées qui ont pour seule caractéristique leur contemporanéité et l'absence de recul permettant de les classifier.
En somme ne justifiant d'aucun titre, si ce n'est celui de propriété de marchands soucieux de valoriser leurs produits.
L'écart les séparant de ce que l'accumulation des siècles a qualifié d'œuvres d'Art nous incline à observer la plus grande circonspection avant toute classification. Soyons donc prudents avant de nous prononcer. Qui peut prétendre aujourd'hui conférer à ces produits le titre d'œuvres d'art?
Pensez-vous que Veilhan soit différent de Koons? Pourquoi?
Je n'ai pas vu l'exposition de Veilhan si ce n'est l'attelage installé dans la cour d'honneur, je connais un peu ses œuvres qui n'ont pas davantage leur place à Versailles, bien que plus intéressantes que Koons et Murakami. Si Koons est un industriel en objets décoratifs, Veilhan en est un autre et Murakami un troisième. On observera le lien entre les trois. Ces nouveaux "artistes"plus accessibles à une classe sociale aisée et artistiquement inculte, que des Boltanski ou autre Serra, (également poulains du réseau) s'apparentent à des entrepreneurs fabricants de poupées, jouets et articles divers, pour kermesse ou fêtes foraines.
Quant à Murakami, le risque est plus élevé car son art est sensiblement différent, pensez-vous qu'il puisse choquer?
Aujourd'hui on ne choque plus guère, si ce n'est quelques instants vite oubliés.
L' "artiste" contemporain ayant choqué était le chinois Zhu Yu qui à la recherche du sensationnel mangea un fœtus en public. On appelle cela une performance...comment est-il possible de surenchérir dans le domaine de l'horreur?
Murakami, pas si différent des autres, n'est qu'un Koons-bis
(pour ne pas dire un clown-bis car il aime s'exhiber en public).
Ce n'est pas par hasard que ces trois "artistes" ont été choisis.
Ils représentent tous les trois une nouvelle tendance soutenue par le réseau en raison de sa haute capacité industrielle de fabrication.
il importe en effet que les commandes puissent être honorées au plus vite, ce qui bien-sûr n'est pas le cas de l'artiste traditionnel travaillant avec ses pinceaux, dont la production est tributaire du temps d'exécution.
Connaissez-vous les polémiques sur les intérêts financiers entre Aillagon, Koons et Pinault? Notamment via la galerie Perrotin.
Les intérêts financiers de ces personnalités du réseau ne sont pas publiés.
Tout laisse à penser que tant d'efforts conjugués ne le sont pas par altruisme. Si c'était le cas, àa se saurait.
Je n'ai pas d'information particulière concernant la galerie Perrotin qui n'est ni plus ni moins qu'un des maillons de réseau.
Versailles est-il un lieu d'exposition ou juste une vitrine de la culture française pour vous?
Les deux à la fois : Versailles est un lieu d'exposition permanente de tout ce qui se rattache à son histoire et symbole de la culture française depuis le XVIIe s. On ne saurait le dénaturer par des fantaisies du genre Koons sans profaner sa vocation multiséculaire.
Aillagon a dit que ça avait pour but de redynamiser le patrimoine, qu'en pensez-vous?
L'argument est fallacieux : Au lieu de considérer le bénéfice publicitaire que retire Koons, il s'agirait de nous faire croire que Versailles est délaissé par les touristes.
Il n'est pas nécessaire de redynamiser le patrimoine, il se porte très bien, tant Versailles que le Louvre et quantité d'autres monuments. Ce sont les lieux les plus visités au monde. Ce n'est pas une exposition d'art contemporaine qui changera les statistiques, sauf peut-être dans un sens négatif.
Il est clair que Versailles pris en otage est utilisé à des fins commerciales consistant à valoriser des artistes imposés par le réseau, tout comme le Louvre et l'ensemble des lieux historiques soumis à cette même contrainte. Moralité : Dans le domaine de la publicité, en bien ou en mal, l'essentiel est qu'on en parle. M. Aillagon ne l'ignore pas et c'set bien ce qu'il attendait de cette confrontation sacrilège. Idées géniale pour capter la presse et créer l'événement.
Heureusement, la crise actuelle laisse espérer qu'un terme sera mis à ce marché artificiel aux relents mafieux.
Qu'est-ce qu'un lieu d'exposition selon vous?
Un lieu d'exposition se doit d'être accessible au public. Le modèle du genre à Paris est bi
en-sûr le Grand-Palais que l'Etat a consacré à la gloire de l'Art Français dès son inauguration en 1901.
Ce bâtiment, dont les salons des vivants indépendants du grand commerce de l'art sont les héritiers, leur a été soustrait au bénéfice d'artistes officiels contemporains (Richard Serra, Boltanshi, etc...) Il n'est pas exclu d'y voir Koons ou ses homologues d'ici peu. Indépendamment des galeries d'art, tout espace abrité qui n'a pas une affection particulière peu servir de lieu d'exposition. La province utilise toutes sortes de lieux pour des expositions estivales.
Propos recueillis par le groupe de Cartographie " Versailles controversé "